Dans les pas de Pazuzu

Les divers artéfacts représentant Pazuzu sont attestés au Moyen-Orient (Assyrie, Babylonie, pays élamite et Palestine) durant l’Âge du Fer, à partir 1er millénaire avant n.è., et ont été produits précisément entre la deuxième moitié de la période néo-assyrienne (934 à 609 av. n.è.), et la fin de l’empire achéménide (550 à 330 av. n.è.). Pazuzu est le fils du dieu infernal Hanbu, originaire du monde souterrain, il règne sur les montagnes aux confins du monde habité, en sa qualité de roi des démons du vent (lilū), propagateur des épidémies. En ce sens, ce statut lui vaut une nature duelle pouvant tourmenter et protéger ; aussi Pazuzu est invoqué pour révoquer les entreprises néfastes de ses subordonnés – et particulièrement celles de Lamaštu son épouse – effectuées à l’encontre des femmes en couche.

En partant de sa cartographie physique très singulière, et de la nature des textes qui lui sont associés, il sera éventuellement possible d’en déduire son usage, et de remonter à son origine incertaine, située entre le nord-est de l’Afrique et la Mésopotamie.

De la complexité du signifiant à la simplicité du signifié

Les diverses représentations iconographiques de Pazuzu sont relativement homogènes dans sa physionomie hybride. Sa face plutôt cynocéphale présente une gueule ouverte laissant apparaître sa langue ou ses crocs, et comporte des yeux fixes globuleux placés sous des arcades sourcilières saillantes. Son corps doté d’une double paire d’ailes à l’instar de certains génies protecteurs de Mésopotamie, est anthropoïde, juché sur des pattes courtes qui se terminent par des serres d’oiseau de proie, et ses bras sont inscrits dans une dynamique d’opposition gestuelle.  Une queue de scorpion, ainsi qu’un sexe se terminant parfois par une tête de serpent, parachèvent sa nature composite. Brett Maiden note que son apparition soudaine à l’Âge du Fer, présente déjà un aspect pleinement développé.[1].

Les textes associés à Pazuzu consistent généralement en des phrases incantatoires standardisées, inscrites sur des objets apotropaïques. La figurine à bélière exposée au Louvre, présente sur son dos, gravée en caractères cunéiformes, la phrase suivante :

« Je suis Pazuzu, fils de Hampa, le roi des mauvais esprits de l’air qui sort violemment des montagnes en faisant rage, c’est moi ».

Il est notable que les inscriptions le concernant, renvoient principalement à sa généalogie, fonction et capacités d’action, mais jamais à sa description physique. Bret Maiden parle d’une volonté d’optimisation cognitive d’une forme contre intuitive, afin de faciliter l’interaction entre les hommes et un être surnaturel. En incluant Pazuzu dans un système de représentation sociale normée, en l’humanisant en partie, il devient possible d’en faire un auxiliaire ; et la production du nombre de têtes excédant celle des figurines complètes – probablement du fait de la fréquence de leur utilisation comme pendentifs conjuratoires –, tend à plaider en faveur d’une optimisation volontaire du signifié.

Une origine incertaine

Sa complexion reprend certaines caractéristiques d’origines variées, qui n’ont toujours pas fait consensus au sein de la communauté des assyriologues, aussi nous nous limiterons à présenter deux hypothèses. Une première analogie peut être effectuée avec le démon Huwawa, gardien de la forêt des résineux où vivent les dieux, connu depuis l’époque sumérienne archaïque. Tout comme ce prédécesseur engendré par Enlil, une divinité liée au vent, Pazuzu est associé à cet élément, et est doté d’un visage repoussant à caractère apotropaïque.

Pour tenter d’expliquer le passage progressif d’une fonction symbolique liée au vent, vers celle d’un outil pratique conjuratoire, Frans A.M. Wiggermann[2] avance que la morphologie de Pazuzu est une association délibérée entre les dernières représentations iconographiques faites du vent de l’Ouest, durant l’Âge du Bronze Récent, et la tête du démon Huwawa, connu pour ses propriétés apotropaïques. Ainsi, cette agrégation fournit à la fois une désignation du mal (les vents mauvais), et la solution pour s’en prémunir (l’amulette en forme de tête).

Une seconde assomption fait état de grandes similarités entre Pazuzu et le dieu égyptien Bès, qui jouit d’une grande popularité sous le Nouvel Empire (1500 à 1000 avant n.è.). Physiques tout d’abord, puis ce dernier présente aussi un visage animalisé effrayant, une bouche ouverte langue tirée, des ailes – à partir du 14e siècle avant n.è. – ainsi qu’une queue de scorpion et un penis erectus. Ensuite fonctionnelles, puisque cette incarnation à usage domestique, conjure les forces néfastes, et veille particulièrement sur les femmes enceintes. Eckart Frahm citant les travaux d’Oskar Kaelin, rappelle que cinq têtes de Pazuzu ont été retrouvées à proximité d’une amulette de Bès à Nimrud, non loin de Ninive ; ce qui selon lui, tendrait à démontrer que les Egyptiens et les Mésopotamiens avaient conscience des fonctions et iconographies comparables de ces deux incarnations, et pouvaient en faire indifféremment usage[3].

Conclusion

Pazuzu jouissait donc d’une grande popularité au milieu du premier millénaire avant n.è., ses qualités de chasseur de démons « A chacun d’eux, j’ai brisé leurs ailes » séant particulièrement au port en amulette sous forme de tête – réf. aux exemplaires retrouvés dans des tombes, ou des instructions de rituels néo-babyloniens tardifs, préconisant ce dispositif en tour de cou – et en protection du domicile, dans sa forme complète. Si les connaissances relevant de son usage restent assez bien documentées, son arrivée soudaine, du moins les caractéristiques très distinctives de son apparence, restent inconnues. Comme le souligne Oskar Kaelin, les parallèles troublants entre les stèles d’Horus et les reliefs de Lamashtu – Bés et Pazuzu se tenant derrière ces dieux respectifs –, plaident pour que les artéfacts mésopotamiens, aient pris pour modèle les productions égyptiennes qui lui sont antérieures de 8 siècles[4]. En revanche, sa tête hybride intégrant des éléments humains et animal, constitue une nouveauté remarquable à l’époque néo assyrienne, pour laquelle aucun rattachement n’est encore possible.

Enfin, sa nature ambivalente qui suscite désir et crainte est rappelée par Nils P Heeßel en ces termes :

Pazuzu est un puissant être démoniaque qui peut aider contre divers dangers, calamités et menaces, mais son pouvoir est à la fois extrêmement dangereux quand il est dirigé contre la nature, le bétail ou les gens.

Pour étayer cette duplicité, l’auteur confronte deux typologies de textes incantatoires, l’un narré à la première personne par Pazuzu, décrivant sa prédominance sur les autres démons afin de les terrasser ; l’autre rédigé principalement à la seconde et troisième personne, pour énumérer son pouvoir destructeur et s’en prémunir[5].


[1] Brett Maiden. Counterintuitive Demons: Pazuzu and Lamaštu in Iconography, Text, and Cognition. Journal of Ancient Near Eastern Religions 18, 2018, pp. 86-110.

[2] Frans A.M. Wiggermann. The Four Winds and the Origins of Pazuzu. Das geistige Erfassen der Welt im Alten Orient. Harrassowitz Verlag, Wiesbaden, 2007, pp. 129-164.

[3] Eckart Frahm. A Tale of Two Lands and Two Thousand Years: The Origins of Pazuzu. Mesopotamian Medicine and Magic, Edited by Strahil V. Panayotov, Luděk Vacín, Leiden, Boston, 2018, pp. 272-291.

[4] Oskar Kaelin. Pazuzu, Lamaschtu-Reliefs und Horus-Stelen – Ägypten als Modell im 1. Jt. v. Chr. S. Bickel et al. (eds.), Bilder als Quellen (Orbis Biblicus et Orientalis, Sonderband), Fribourg 2007, pp. 365-378.

[5] Nils P Heeßel. Evil Against Evil, The Demon Pazuzu. L. Verderame (ed.), Demoni mesopotamici, Studi e Materiali di Storia delle Religioni 77/2, Rome 2011, pp. 357-368.

Éric Estrivier
Que l'avenir soit un orient au lieu d'être un couchant, c'est la consolation de l'homme. Victor Hugo  

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *